Agenda de L'Ecran Réolais



16 février 2010

Le cinéma numérique sera-t-il homérique ?

par Rafael Maestro, président de l’association des cinémas de proximité en Aquitaine

Vous fréquentez un petit cinéma, ou un cinéma d'art et d'essai, ou un circuit de cinéma itinérant... vous appréciez la programmation, le confort, les tarifs, la proximité, la convivialité… Et bien, sachez le, ces petits équipements culturels de proximité, ces petits services publics du cinéma, sont actuellement en train de lutter pour leur avenir… et sans complainte ni résignation, bien au contraire, il faut avouer que c’est (très) mal parti.

Alors, que se passe-t-il ? S’il est vrai que vous êtes toujours plus nombreux à venir chez nous (2.2 millions de spectateurs accueillis en 2009 dans le réseau des salles de cinéma indépendantes en Aquitaine), que le nombre de films qui vous est proposé est en constante augmentation, que les jeunes, les aînés, les actifs, les inactifs, les cinéphiles, les occasionnels, bref que la population aquitaine dans son ensemble vient majoritairement bien plus au cinéma que dans d’autres régions, c’est avant tout car il existe beaucoup de salles de cinéma dans nos campagnes… Alors quoi ?

Le numérique ! Tout comme les disquaires, les librairies, les petits cinémas sont rattrapés par la révolution numérique. Il faut que vous sachiez que nous faisons partie des 2600 cinémas indépendants en France, et que nous sommes tous dans l'obligation de nous équiper en projecteur numérique, d'ici 3 ans. L'adieu définitif à la pelloche,... et à certains métiers, comme celui d'opérateur projectionniste. Comme cet équipement coûte cher, nous avons été obligé de trouver des solutions par nous-mêmes, en développant l’idée de mutualiser les ressources. En gros, les grandes salles payent plus que les petites salles, et presque tout le monde peut s'équiper à moindres frais...

Le Centre National du Cinéma a trouvé l'idée très bonne et l'a reprise à son compte. On s'est dit « chouette, l'État c'est vraiment nous ! ». Il ne restait qu'un détail, l'avis du Conseil de la Concurrence, une formalité pour tout le monde... Nous sommes 2600 à avoir pré adhéré à ce fonds, en l'espace de 6 semaines, presque tout le monde a dit officiellement : « oui ». Et patatras...

Dans le même temps, les grands circuits nationaux, à l'exception notable d'UGC, trouvent rapidement des solutions. Un nouveau métier est arrivé, le tiers de confiance... mi-banquier, mi-VRP, mi-pas-du-métier. Les solutions sont techniques, les frais financiers variant selon la taille du cigare du patron de circuit qui signe son contrat. L'impact social est lui, toujours le même, l'opérateur projectionniste ne voulant pas forcément vendre des confiseries... prend la porte. Merci, au revoir….

Et patatras... Le Conseil de la Concurrence a marqué les esprits en retenant l'intérêt de 450 riches salles de cinéma déjà liées par contrat écrit à un opérateur privé, plutôt qu'à 2600 salles également liées par engagement écrit au CNC. Nous sommes rattrapés par un principe très simple, le principe de réalité. La profession entière qui se mobilise, qui trouve des solutions solidaires et pérennes. Le CNC qui le reprend à son compte, mais le Monde est un marché, et l'exception culturelle est balayée d'un revers de la main. Pour ceux qui la portent, chaque soir, dans des cinémas qui sont les derniers ouverts le soir à la campagne ou en zone périurbaine. Il n'y aura plus d'alternatives à la TV, à Internet. La pratique culturelle collective sera pour les grandes villes. On fera des bornes, mais au moins on aura le choix, 10 films, 15 films à l'affiche du multiplexe…

Nous ne sommes pas dupes. Le vent du libéralisme souffle dans nos bronches, et nous sommes presque tous malades… Après la Santé Publique, la Justice, l’Education, la Politique Industrielle ou Agricole, la Culture sera donc réservée à ceux qui peuvent avoir le luxe de se la payer… Dans quelques années, le seul lieu où la mixité sociale sera présente, ce sera les supermarchés. Ça nous promet des lendemains qui chantent…

« La culture... ce qui a fait de l'homme autre chose qu'un accident de l'univers », écrivait André Malraux. Nous allons pourtant collectivement droit dans le mur. (12.02.10)

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