Agenda de L'Ecran Réolais



02 janvier 2008

La crise (suite)

Comme le dit François Aymé, directeur du Cinéma Jean Eustache de Pessac, dans sa lettre-droit de réponse aux écrits d'Utopia l'exploitation cinématographique française est de moins en moins rentable...

Nous l'avions bien remarqué ! Le Ciné Rex réalisait en moyenne 12 000 entrées annuelles dans les années 90 avec 3 ou 4 séances hebdomadaires (exclusivement le week-end) sur un seul film souvent sorti en salles depuis plus de 4 semaines. Depuis la rénovation et la réouverture en 2002, le chiffre annuel de fréquentation est sensiblement le même : entre 11 000 et 12 000 entrées de 2003 à 2005, environ 13 500 en 2006 et 2007, mais moyennant 8 à 10 séances hebdomadaires sur 2 à 4 films, dont un dépassant rarement la 4ème semaine d'exploitation... Si on fait la proportion, on arrive à une perte de rentabilité d'environ 65 % depuis 2000 !!!

A plus grande échelle, certes la fréquentation actuelle dépasse régulièrement les chiffre d'il y a 10 ans, mais le parc de salles n'est toutefois pas le même (une grosse centaine de multiplexes en plus, notamment). Nul besoin de préciser les données d'aujourd'hui, toutes présentes dans les articles liés du premier paragraphe.

Quel est donc l'objet de cette guerre qui fait rage ??? Les salles de proximité tout simplement, qui menacent de faire de l'ombre aux grands indépendants. Sic. UGC et MK2 attaquent le projet Mélies de Montreuil (extension d'un cinéma de proximité), Utopia Bordeaux remet en question les aides publiques perçues par le Jean Eustache à Pessac, Pessac rétorque invoquant le principe de mixité sociale, ... Comment s'y retrouver, qui a raison, qui a tort ?
Non seulement les cinémas de proximité sont aujourd'hui d'une rentabilité à faire pâlir un tic-tac menthe, mais en plus ils seraient de simples pompes à fric du contribuable, infoutues de choisir leurs lignes de conduite et piochant leur contenu là où l'air est le plus respirable. C'est sûr que, présenté comme ça, ça tâche.

Et le spectateur dans tout ça ? Comme il est dit à juste titre dans le blog d'Utopia : il va là où les films qu'il désire voir sont joués, au moment et au(x) prix où il désire en profiter. Là où se trouve, en d'autres termes, le cinéma qu'il aime.
Même si Utopia nuance (bien justement) ses propos, dans la caricature les cinémas de proximité (publiquement soutenus) entreraient dans un processus beaucoup plus légitime en s'alliant à ses propres lignes de programmation : Art&Essai en force, VO uniquement, 0% commercial.
Dès lors, UGC devrait s'aligner lui-aussi en abandonnant l'exploitation des films Art&Essai dans ses multiplexes.
Résultat : un parc de salles de proximité toutes typées Art&Essai, et des multiplexes "tout commercial-tout ludique" uniquement en métropole. Lorsqu'on voudra découvrir le nouveau David Lynch, on pourra courrir dans son ciné local, mais lorsque Les Bronzés 4 sortira, il ne restera pas d'autre choix que de programmer une escapade à Bordeaux, Libourne, La Teste, ...

Que l'on apprécie ou non l'un ou l'autre des genres, cette solution ne peut satisfaire personne.

L'idée n'étant pas du tout d'encenser ou de taper sur Utopia ou notre collègue de travail le Jean Eustache, qui font partie comme nous des défenseurs (plus ou moins libres) d'un cinéma de qualité, nous préférons nous attarder sur la constatation.

UGC, créateur de la carte illimitée qui causa, cause et causera encore bien des remous dans les sphères du cinéma hexagonal, s'enorgueilli de proposer à son public en complément de sa programmation VIP une sélection de films Art&Essai (qui passent par conséquent sous le nez d'Utopia). Utopia avec sa programmation 100% A&E totalise des chiffres très corrects, défend bec et ongle le cinéma d'auteur, alternatif et de qualité, perçoit de la part de la commission A&E du CNC une aide sélective record (68 000 €), a obtenu (des pouvoirs publics) l'exonération d'une partie de ses taxes professionnelles. Le Jean Eustache propose une programmation à la louche 2/3 Art&Essai 1/3 grand public, dispose d'importantes subventions publiques de part son statut (associatif) sa situation géographique (CUB) et sa politique culturelle (nombreux dispositifs d'éducation à l'image et au cinéma, centre névralgique du réseau des cinémas de proximité en Gironde, nombreuses animations pour tous les publics), est rattaché directement à la ville de Pessac, dispose grâce à son poids en fréquentation d'un choix de films récents très confortable. Les autres cinémas de proximité de la Gironde s'efforcent de proposer une programmation qui s'adapte avant tout aux goûts des spectateurs concernés, perçoivent des subventions souvent toutes modérées de la part des collectivités (qui ont d'autres points dans leurs lignes budgétaires "culture" déjà bien minces), dépendent pour la plupart du catalogue de films proposé par leurs programmateurs (dépendant eux-aussi du bon-vouloir des distributeurs d'éparpiller leurs copies hors-métropole) avec de plus en plus de problèmes d'accès aux copies (sorties nationales quasi inexistantes, films Art&Essai déjà exploités), galèrent à travailler dans un milieu toujours plus ingrat et ultra-professionnel avec des mi-temps, des contrats aidés et souvent des bénévoles (votre serviteur), et un milieu qui donne de moins en moins la chance aux petites salles qui malgré le nombre réduit de séances hebdomadaire possible peuvent tout-à-fait engendrer des résultats honorables s'ils ont les moyens d'appliquer la politique de programmation et d'animation qu'ils jugent la meilleure.

Que l'on ne se trompe pas de valeurs... Ce n'est ni le privé contre le public, ni le commercial contre le culturel, mais la juxtaposition dans un système diversifié d'accès à la culture cinématographique de 3 concepts d'exploitation différents : celui où on retrouve le billet au centre de l'échiquier, celui où est placé le film en étendard, et celui où le spectateur dispose de l'espace.

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